Plongez au cœur du verger d'asiminiers d'Emmanuel Aze, où 2500 plants de « pawpaw », surnommé aussi le « manguier du Nord », prospèrent sous sa vigilance passionnée. Militant engagé, Emmanuel ne se contente pas de cultiver : il est en constante recherche du goût parfait. Ne manquez pas cette interview pour découvrir l'homme derrière cette révolution fruitière.
Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre verger ? Racontez-nous son histoire et la place qu'il occupe dans la région.
Emmanuel Aze (E. A.) : Le verger est situé dans le Sud-Ouest, dans le Lot-et-Garonne, en bordure du Lot, positionné entre Bordeaux et Toulouse. Il se trouve en amont d'un barrage hydro-électrique. Notre localisation particulière nous fournit une nappe phréatique à seulement 3 m de profondeur et l'humidité ambiante est plutôt favorable pour les asiminiers. Ces nappes sont indépendantes de l'eau de la rivière, ce qui est prouvé par leur différence de dureté.
Ma famille et moi sommes profondément liés à la vieille ferme où nous vivons, emblématique de l'agriculture française. Notre grand-père lui a donné un nouvel essor en tant que pépinière dans les années 50, avant de la transmettre à un ouvrier qui s'en est occupé jusqu'en 2000. Ma mère, à 60 ans, a repris la ferme avant que je prenne la relève en 2002. Nous cultivons une diversité de variétés fruitières. Auparavant, notre spécialité était la vente à la ferme de pêches et de nectarines. Ces fruits étaient très prisés, y compris par des clients prestigieux comme de grands cuisiniers et même l'Élysée. Au-delà de ma carrière d'arboriculteur, je suis également militant, syndicaliste et investi dans l'agriculture paysanne.
Comment avez-vous découvert l'asiminier et qu'est-ce qui a suscité votre intérêt pour ce fruitier ?
E. A. : Mon introduction à l'asiminier remonte à 2018, grâce à un ancien saisonnier, Rémi Gibert. Ce fils d'arboriculteur avait planté des asiminiers dès 2010. Il m'a présenté l'espèce, puis j'ai eu des échanges avec Cliff England par mails (Cliff England est un des plus grands collectionneurs de fruitiers rares aux USA, dont les asiminiers, ou pawpaws), avant d'être présenté à Benjamin Baqué (co-auteur du livre sur les manguiers du Nord). Ce qui m'a toujours captivé, c'est la quête de l'excellence en production fruitière et la perspective d'une aventure agricole rafraîchissante et excitante. Je retrouve le plaisir d'exercer mon métier.
Pouvez-vous nous éclairer sur les forces et les faiblesses de la culture de l'asiminier ?
E. A. : L'asiminier possède des qualités gustatives étonnantes. C'est un des rares fruitiers aux saveurs exotiques parfaitement adaptés à certains climats européens, ce qui nous évite d'énormes dépenses énergétiques avec l'import d'exotisme de très très loin. De plus, ils sont peu touchés par les ravageurs. Cependant, il y a aussi des défis. La conservation du fruit et l'absence de signe clair de maturité rendent difficile de savoir quand le consommer. Autrefois, la connaissance populaire sur la maturité et l'affinage des fruits était courante, mais elle a diminué. L'asiminier nécessitera une éducation du consommateur.
Pourriez-vous nous donner des informations techniques sur la culture de l'asiminier ?
E. A. : Mon sol est dominé par l'argilo-calcaire, avec certains endroits ayant des limons. Le pH varie autour de 6.5, bien que je n'aie pas planté là où il atteint 7.5. En ce qui concerne l'espacement, j'utilise 2 m 50 entre les plants d'asiminiers sur la ligne et 5 m entre les lignes. J'expérimente la taille de formation, je me dirige plutôt vers le gobelet, mais je n'ai pas encore d'idée arrêtée, il existe plusieurs possibilités (un verger italien les forme plutôt en axe central).
J'ai rencontré des problèmes avec la racine pivot des plants d'asiminiers que j'ai achetés, probablement du au processus de rempotage chez ce pépinièriste. Cela m'a poussé à penser que l'asiminier devrait être cultivé de la graine au fruit. Pour l'irrigation, j'utilise un goutte à goutte tous les 30 cm.
En ce qui concerne la protection du sol, j'utilise des rouleaux de chanvre pour une diffusion lente de l'eau. J'ai également essayé d'introduire du trèfle le long des rangées pour contrer les adventices.
Nous avons également installé des filets de récolte pour que les fruits ne s'abîment pas. Les asimines tombent sur le sol à maturité. Avec les filets, elles sont protégées. Nous avons remarqué que directement tombée de l'arbre, le fruit pouvait posséder un goût variable. Un passage en frigo pendant quelques jours améliore le gôut du fruit, ce qui est à l'opposé des fruits que j'avais l'habitude de cultiver dans le passé.
Espacement de 2 m 50 entre chaque plant. Très belle croissance pour des arbres de 4 ans.
Parlons de pollinisation. Est-ce que vous avez mis en place des techniques spécifiques pour assurer une bonne production de fruits ?
E. A. : À l'heure actuelle, je n'interviens pas activement dans le processus de pollinisation. Je prévois d'observer et d'évaluer si des techniques supplémentaires sont nécessaires à l'avenir.
Quelles variétés cultivez-vous actuellement ?
E. A. : J'ai principalement planté Shenandoa & Allegheny, les variétés de Peterson, en grande partie à cause d'une opportunité de fin de stock d'un pépiniériste. Si je devais recommencer, je choisirais des variétés Lehman (hybrideur d'Asimina triloba et de Dyospiros virginiana et hybrides, décédé il y a quelques années) pour leur goût. J'aimerais également obtenir des October Moon, pour leur production tardive et étaler mon offre.
Comment préférez-vous consommer l'asimine ?
E. A. : Fraîche! C'est de loin ma façon préférée. Cependant, je pense que des produits dérivés comme les glaces et les jus de fruits ont aussi du potentiel.
Enfin, quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui veut se lancer dans la culture de l'asiminier ?
E. A. : Assurez-vous de bien choisir vos plants ou, mieux encore, produisez-les vous-mêmes. Si vous ne les faites pas vous-même, procurez-vous vos plants auprès d'un pépiniériste compétent. Comprenez bien les spécificités de cette espèce. La production de plants peut être difficile pour un petit atelier, mais elle en vaut la peine.
Retrouvez plus d'infos sur le verger d'asiminiers d'Emmanuel Aze en bas de cette page.
La vision et la démarche d’Emmanuel Aze
Emmanuel Aze est bien plus qu'un simple arboriculteur, il est le reflet d'une transition et d'un engagement profonds dans l'agriculture française.
20 ans de production : Avec deux décennies d'expérience dans la production, Emmanuel Aze a acquis une connaissance approfondie de son métier et des défis auxquels les arboriculteurs français sont confrontés. Il est un des fondateurs de l'Atelier Paysan, association bien connue pour la fabrication et la diffusion de savoir autour des machines low tech pour le monde paysan.
Engagements syndicaux : Sa carrière a été marquée par des engagements syndicaux, renforçant sa position en tant qu'acteur clé du secteur. Cet engagement lui a permis de connaître tous les acteurs et d'avoir un aperçu des enjeux politiques, économiques et environnementaux liés à l'agriculture.
Contexte climatique et européen : Emmanuel Aze reconnaît l'impossibilité de se maintenir face à un contexte climatique défavorable et la distorsion de concurrence engendrée par les traités européens. Ces facteurs ont contribué à l'effondrement de l'arboriculture française. De plus, l'État français a abandonné cette cause, comme en témoigne le refus de soutien de la PAC.
Stratégie personnelle : Après avoir été témoin de la destruction progressive de ses vergers, Emmanuel Aze a envisagé une diversification pour préserver et revitaliser son exploitation. Sa rencontre avec l'asiminier a été une révélation. Ses caractéristiques agronomiques prometteuses et le fait qu'il s'agisse d'une espèce encore peu connue, sans demande ni concurrence existante, le positionnent comme une opportunité unique.
Pressions externes : Cependant, même si l'asiminier présente des avantages, il ne faut pas négliger les défis. La pression exercée par les producteurs espagnols ou industriels d’autres pays, en quête de coûts de production inférieurs, est palpable. De plus, sans normes claires de commercialisation garantissant la qualité du fruit, l'asiminier pourrait également faire l'objet d'une concurrence féroce.
Vision : Pour Emmanuel Aze, le succès de l'asiminier dépendra de la capacité des producteurs à imposer des normes et à garantir la qualité. Arriver avec un volume suffisant, imposer des façons de faire respectueuses du produit et éviter une pression à la baisse sur les prix sont essentiels. En effet, des pratiques commerciales non respectueuses risquent de marginaliser les gros producteurs industriels.
Lecture recommandée: Pour en savoir plus sur la vision et la démarche d'Emmanuel Aze, il est recommandé de lire l'essai coécrit intitulé « Reprendre la terre aux machines : L’atelier paysan », publié aux Éditions du Seuil, dans leur collection dédiée.
Commande d'asimines
Il est possible de commander des asimines aux vergers de St Sulpice et bientôt de commander des plants greffés directement chez Emmanuel Aze, ou à notre pépinière en Belgique (nous espérons travailler avec lui dans le futur).