La forêt nourricière de Martin Crawford, établie dans le Devon au sud-ouest de l'Angleterre, représente aujourd'hui l'une des références mondiales en matière d'agroforesterie tempérée. Ce projet, qui s'étend sur 0,8 hectare, est le fruit d'une longue évolution personnelle et d'une quête pour créer un système agricole plus résilient et durable.
Contexte géographique et climatique
Située à Dartington, dans le Devon, la forêt nourricière bénéficie d'un climat océanique tempéré caractéristique du sud-ouest de l'Angleterre :
- Des températures douces toute l'année (moyenne de 11°C)
- Des précipitations régulières (environ 1000mm/an)
- Une période de croissance d'environ 275 jours
- Des épisodes de gel limités, rarement en-dessous de -5°C
- Une influence maritime qui tamponne les extrêmes climatiques
Le site se trouve sur un terrain légèrement vallonné, avec un sol limoneux-argileux profond de pH 6,5. Cette combinaison de conditions édaphiques et climatiques, bien que non idéale pour certaines espèces méditerranéennes ou subtropicales, offre un bon potentiel pour une large gamme de plantes tempérées et permet d'expérimenter avec des espèces plus exotiques dans les micro-climats créés.
Des racines dans le maraîchage biologique
Dans les années 1980, Martin Crawford débute sa carrière comme maraîcher biologique. Cette expérience lui fait rapidement prendre conscience des limites de ce système :
- Une dépendance excessive au travail physique
- Une vulnérabilité aux aléas climatiques
- Un besoin constant d'intrants, même biologiques
- Une perturbation régulière des sols
Ces observations le poussent à étudier les écosystèmes naturels et leur capacité à produire sans intervention humaine constante. La découverte des travaux de Robert Hart, pionnier des forêts comestibles en climat tempéré, marque un tournant dans sa réflexion.
Les débuts de l'expérimentation (1992-1994)
En 1992, Crawford commence ses premières expérimentations sur une petite parcelle. Cette phase initiale lui permet d'identifier plusieurs défis :
- La gestion de la densité de plantation
- L'adaptation des espèces au climat local
- Les interactions entre les différentes plantes
- L'organisation spatiale du système
Fort de ces premiers apprentissages, il établit en 1994 le site principal de l'Agroforestry Research Trust, qui deviendra sa forêt nourricière emblématique.
Phase d'établissement et premières leçons (1994-2000)
Les premières années révèlent plusieurs erreurs initiales importantes :
- Une densité de plantation trop importante, nécessitant des éclaircies coûteuses en temps
- Une sous-estimation du temps de croissance en conditions tempérées
- Des associations de plantes parfois peu compatibles
- Une diversité peut-être excessive au détriment de la productivité
Maturation et optimisation (2000-présent)
Au fil des années, Crawford affine continuellement son système :
- Rationalisation du nombre d'espèces pour se concentrer sur les plus performantes
- Développement de techniques de taille adaptées aux différentes strates
- Amélioration des systèmes de paillage et de fertilisation naturelle
- Optimisation des corridors d'accès pour la récolte
Le système actuel
Structure générale
La forêt comporte plus de 500 espèces organisées en différentes strates :
- Une canopée d'arbres fruitiers et à noix
- Une strate arbustive de petits fruitiers
- Une strate herbacée de plantes vivaces comestibles
- Une strate de couvre-sol et de plantes grimpantes
Espèces principales et éprouvées
La colonne vertébrale du système repose sur des espèces bien adaptées au climat local :
Strate haute (canopée) :
- Noyers (Juglans regia)
- Châtaigniers (Castanea sativa)
- Pommiers rustiques (Malus domestica)
- Poiriers (Pyrus communis)
- Cerisiers (Prunus avium)
Strate arbustive :
- Noisetiers (Corylus avellana)
- Néfliers (Mespilus germanica)
- Amélanchiers (Amelanchier canadensis)
- Groseilliers (Ribes rubrum, nigrum)
- Argousiers (Hippophae rhamnoides)
Strate herbacée :
- Rhubarbe (Rheum rhabarbarum)
- Oseille (Rumex acetosa)
- Consoude (Symphytum officinale)
- Hémérocalle (Hemerocallis)
- Ciboule de Chine (Allium tuberosum)
Couvre-sol et grimpantes :
- Fraisiers des bois (Fragaria vesca)
- Menthe poivrée (Mentha × piperita)
- Houblon (Humulus lupulus)
- Vigne de Schisandra (Schisandra chinensis)
Expérimentations et espèces inhabituelles
Crawford a également introduit avec succès plusieurs espèces moins conventionnelles :
Arbres et arbustes :
- Goyavier du Chili (Acca sellowiana) - adapté en situation abritée
- Asiminier (Asimina triloba) - "banane du pauvre"
- Plaqueminier de Virginie (Diospyros virginiana)
- Arbre aux haricots bleus (Decaisnea fargesii)
- Cognassier du Japon (Chaenomeles japonica)
Vivaces et herbacées :
- Wasabi (Wasabia japonica) - cultivé en zones ombragées
- Lis comestibles (Lilium lancifolium)
- Igname de Chine (Dioscorea batatas)
- Hosta (variétés comestibles)
- Fougère-asperge (Ornithogalum pyrenaicum)
Expérimentations en cours :
- Olivier de Bohême (Elaeagnus umbellata)
- Amandier (variétés tardives)
- Kiwai (Actinidia arguta)
- Myrtillier arbustif (Vaccinium corymbosum)
Certaines de ces espèces nécessitent des microclimats particuliers ou des protections hivernales, mais démontrent la possibilité d'étendre la gamme des cultures en climat tempéré grâce à une bonne compréhension des besoins des plantes et une gestion fine des conditions locales.
Performance et impacts
Les résultats actuels démontrent la viabilité du système :
- Production : environ 7 tonnes de nourriture par hectare et par an
- Densité calorique : jusqu'à 5 millions de calories par hectare et par an
- Temps de travail : 100-150 heures par an pour 0,8 hectare
- Biodiversité : plus de 500 espèces végétales
- Séquestration de carbone : 8 tonnes de CO2 par hectare et par an
Modèle économique
Le projet génère des revenus diversifiés :
- Vente de produits frais et transformés
- Formation et éducation
- Vente de plants et de semences
- Consulting et recherche
Conseils pour les nouveaux projets
Fort de 30 ans d'expérience, Crawford recommande :
- Commencer sur une surface modeste (1000-2000m²)
- Privilégier les espèces bien adaptées et productives
- Accorder une attention particulière à la préparation du sol
- Prévoir dès le début les accès et la circulation
- Planifier la succession des espèces dans le temps
Conclusion
L'expérience de Martin Crawford démontre qu'il est possible de créer des systèmes agricoles productifs et résilients en s'inspirant des écosystèmes naturels. Son parcours, des premières expérimentations à la forêt nourricière mature d'aujourd'hui, offre des enseignements précieux pour le développement de l'agroforesterie en climat tempéré.
Note sur les sources : Les données présentées proviennent principalement des publications de Martin Crawford et de l'Agroforestry Research Trust. Bien que ces chiffres soient largement cités dans la littérature sur l'agroforesterie, il est important de noter que les données scientifiques indépendantes et revues par les pairs sur les performances précises du système sont limitées. On ne peut donc pas garantir avec certitude l'exactitude de tous les chiffres mentionnés.